Leonardo, couleur, anatomie, envol



Deux cents ans avant que Sir Isaac Newton ait démontré en réfractant la lumière (blanc) par le moyen des prismes que la lumière se constitue des trois couleurs primaires, Leonardo da Vinci eût quasi touché à cette vérité sans totalement l'apprécier. Voici un passage de lui à propos de l'arc-en-ciel traduit de l'anglais. (Je n'ai pas pu trouvé la version originale en italien).

Sur les couleurs de l'arc-en-ciel.
Si les couleurs sont produites par le soleil.

Les couleurs de l'arc-en-ciel ne sont pas produites par le soleil, car elles apparaissent en plusieurs façons sans la lumière du soleil; ce que l'on peut voir en tenant un verre d'eau à l'œil, quand, dans le verre- où il y a ces petites bulles toujours vues en verre brut- chaque bulle, même sans que le soleil la touche, produira d'un côté toutes les couleurs de l'arc-en-ciel; ce que vous pouvez voir en plaçant le verre entre la lumière du jour et votre oeil de telle manière qu'il est proche de l'œil, pendant que d'un côté le verre accueille la lumière diffusée de l'atmosphère, et sur l'autre côté l'ombre ou à gauche ou à droite de la fenêtre (le côté est sans importance). Puis, en tournant le verre vous verrez ces couleurs tout autour des bulles dans le verre.

Que l'œil n'a aucune part de responsabilité pour produire les couleurs de l'arc-en-ciel.

Dans l'expérimentation décrite, l'œil semblait avoir une part de responsabilité pour produire les couleurs de l'arc-en-ciel, car ces bulles dans le verre ne se montrent que grâce au moyen de la vision. Mais, si vous placez un verre plein d'eau sur le bord de la fenêtre, de façon qu'un côté soit exposé aux rayons du soleil, vous verrez les mêmes couleurs produites projetées à travers le verre et par terre, dans une tache de lumière, dans un endroit sombre en dessous de la fenêtre; et comme l'œil n'est pas directement concerné, nous pouvons affirmer avec certitude que l'œil n'a aucune part à l'égard de leur création.

Ce qui suit est de son Trattato della Pittura (avec quelques changements y compris à l'égard des traductions en français selon ma propre appréciation du texte original).

Della mutazione di colori trasparenti dati o messi sopra diversi colori, con la loro diversa relazione. CAP. CXIII.

'Quando un colore trasparente è sopra un altro colore variato da lui, si compone un colore misto diverso da ciascun di semplici che lo compongono. Questo si vede nel fumo che esce dal camino, il quale quando s'innalza al riscontro dell'azzurro dell'aria, pare berettino (rossastro), o rosseggiante. E così il pavonazzo (scarlatto) dato sopra l'azzurro si fà di color di viola: et quando l'azzurro sarà dato sopra il giallo, egli si fà verde: & il croco (rosso bruno arancione) sopra il bianco si fà giallo: & il chiaro sopra l'oscurità si fà azzurro, tanto più bello, quanto il chiaro e l'oscuro saranno più eccellenti.'

La mutation des couleurs transparentes, placées ou mélangées sur différentes couleurs, et leurs diverses relations.

Lorsqu'une couleur transparente est superposée à une autre couleur qui diffère de celle-ci, elles donnent ensemble une couleur mixte, différente de chacune des couleurs simples qui la composent. Ceci se voit dans la fumée qui sort de la cheminée, qui rencontrant l'azur de l'air, semble rougeâtre. Et ainsi le rouge sur l'azur donne la couleur de violet : et lorsque l'azur est placé sur le jaune, ça donne le vert, et le jaune orange sur le blanc devient jaune. Et le clair sur l'obscurité devient bleu ciel, d'autant plus beau que le clair et l'obscur seront parfaits.

Perché il bianco non è colore. CAP. CLV

'Il bianco non è colore, ma è in una potenza ricettiva di ogni colore. Quando esso è in campagna alta, tutte le sue ombre sono azzurre, e questo nasce per la regola (4°) che dice: La superficie di ogni corpo opaco partecipa del colore del suo obbietto. Adunque  tal bianco essendo privato del lume del sole per interpositione di qualche obbietto trasmesso fra il sole & esso bianco, resta tutto il bianco, che vede il sole e l'aria partecipante del color del sole e dell'aria, e quella parte che non è vista dal sole resta ombrosa, e partecipante del color dell'aria: e se tal bianco non vedesse la verdura della compagna infino all'orizzonte, ne ancora vedesse la bianchezza di tale orizzonte, senza dubbio esso bianco parrebbe essere di semplice colore, del quale si mostra essere l'aria.'

Pourquoi le blanc n'est pas une couleur.

Le blanc n'est pas une couleur, mais a le pouvoir de recevoir toutes les couleurs. Quand il se trouve en un champ élevé, toutes ses ombres sont bleu clair, conformément à la règle qui dit : la surface de tout corps opaque participe de la couleur de l'objet qu'elle a devant elle. Ce blanc par conséquent, qui participe de la couleur du soleil et de l'air, s'il est privé de la lumière du soleil par l'interposition de quelque obstacle, restera entièrement blanc pour la partie exposée au soleil et à l'air et, pour la partie que le soleil ne voit pas, elle sera ombragée et participera de la couleur de l'air. Si ce blanc ne voyait ni la verdure de la campagne jusqu'à l'horizon, ni la blancheur de ce même horizon, il paraîtrait sans aucun doute être de la simple couleur dont paraît être l'air.

Evidemment Leonardo fut non seulement un grand artiste, mais aussi un grand technicien, innovateur et savant en physique. En plus il fut un sculpteur, architecte, mathématicien, ingénieur, inventeur, anatomiste, géologue, cartographe, botaniste, et écrivain.

Ce serait intéressant d'imaginer comment il aurait évolué en tant qu'artiste si, par exemple, il avait pu faire les mêmes découvertes que Newton. Bien qu'il eût compris fort bien l'influence des couleurs réfléchies: CAP. CI., la perspective des couleurs: CAP. CVII., les couleurs secondaires: CAP. CLXL.,  naturellement il n'avait pas pu apprécier la vitesse et les variations de vitesse de la lumière. Il n'a pas eu les moyens d'expérimenter comme l'avait fait Newton, ni l'occasion d'expérimenter simplement avec la couleur avec autant de liberté qu'avaient eu les impressionnistes, par exemple. Ceux qui ont poussé l'expression par la couleur, grâce aussi à leur appréciation de la théorie de couleur, aussi loin qu'ils voulaient, et qui avaient en plus une concurrence directe, ainsi que le soutien visuel, souvent très avantageux, de la photographie.

Avec cette connaissance des constituants de la lumière (blanc), Leonardo da Vinci aurait aussi compris davantage la polarité des couleurs, tel que l'ombre projetée par une botte de paille- donc jaune- en plein soleil serait en principe de sa couleur opposé, violet, etc. Mais c'est probable qu'il eût prit ceci en considération, de manière plutôt instinctive, bien qu'avec son incroyable sfumato technique, ainsi que les exigences de son époque à l'égard du portraiture, où un tableau était soigneusement effectué plutôt à l'intérieur, jamais on aurait alors été trop concerné par de telles théories de couleur appartenant à une autre époque.
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Voici encore quelques notes plus générales mais assez intéressantes de son Trattato della Pittura.

Precetto del pittore universale. CAP. IX

'Quello non sia universale che non ama egualmente tutte le cose che si contengono nella pittura : come se ad uno piacciono i paesi, esso stima di essere di semplice investigazione, come disse il nostro Botticelli*, che tale studio era vano, perché col solo gettare una spunga piena di diversi colori ad un muro, essa lasciava in detto muro una macchia, dove si vedeva un paese. Egli è ben vero che si vedono varie invenzioni di ciò che l'uomo vuol cercare in quella, cioè teste d'uomini, diversi animali, battaglie, scogli, mari, nuvoli, boschi, e simile cose. È  come il suono delle campane, il quale si può intendere che dica quello, che a te pare. Così, ancora che tali macchie ti diano invenzione, esse non t'insegnano finir alcun particolare, e questo tal pittore fece tristissimi paesi.'

Préceptes du peintre

N'est pas universel qui n'aime pas au même degré tout ce que contient la peinture. Celui qui n'aime pas les paysages pense qu'ils ne méritent qu'une simple et brève recherche: comme notre Botticelli, qui disait cette étude vaine, puisqu'il suffit de jeter contre un mur une éponge imbibée de différentes couleurs pour qu'elle y laisse une tache où l'on peut voir un joli paysage. Il est bien vrai que l'on peut reconnaître dans cette tache les fantaisies diverses que l'imagination de l'homme veut bien y voir : des têtes, des animaux, des batailles, des mers et des rochers, des nuages, des bois et autres choses semblables. C'est comme le son des cloches, auxquelles on peut faire dire ce que l'on veut. Mais même si ces taches te donnent des idées, elles ne t'enseignent pas la finition du détail. Et le peintre en question fit ainsi de bien tristes paysages.

C'est une critique intéressante, sans voile en ce qui concerne Botticelli, (*cité ou faussement sinon correctement comme 'Botticello' dans le texte de l'ouvrage de Chez Jean de Bonnot) mais elle démontre encore le technicien méticuleux et exigeant que fut Leonardo da Vinci, lui qui tenait toujours à explorer au fond des choses autant que possible pendant son époque afin de les comprendre.
On pourrait aussi qualifier cette critique comme une des premières envers la peinture abstraite, exprimée pendant la renaissance du 15° siècle! Aujourd'hui on pourrait aussi la mettre en question, car la nature elle-même n'est pas pour autant aussi méticuleuse. Et parfois pour mieux capturer cet aspect fugueur et souvent illusoire, on peut faire recours aux 'accidents contrôlés,' sans lesquels notre représentation d'elle risque d'être trop soignée et figée, sans cette vie éclatante essentielle. Alternativement elle risque de ne pas être assez vague, indistincte et mystérieuse, ou ne pas assez sauvage, violente, grandiose et imposante.

Di Quelli che usano la pratica senza la diligenza, overo scienza. CAP. XXIII

Quelli che s'innamorano della pratica senza la diligenza, overo scienza, per dir meglio, sono come i nocchieri ch'entrano in mare sopra nave senza timone o bussola, che mai non hanno certezza dove si vadano. Sempre la pratica deve essere edificata sopra la buona teorica, della quale la prospettiva è guida, e porta : e senza quella niente si fà bene, così di pittura, come in ogn'altra professione.

L'erreur de ceux qui se mettent à la pratique sans posséder la science

Ceux qui s'éprennent de la pratique sans connaître la science ressemblent à des capitaines qui, sur des bateaux sans gouvernail ou sans boussole, ne sauraient jamais sur quoi ils mettent le cap. Il faut toujours bâtir la pratique sur un bon fondement théorique. La perspective en est le guide et la porte et, sans elle, on ne fait rien de bon.

Che l'huomo non si deve fidar tanto di sé, che non vegga dal naturale. CAP. XX

Quello che si dà ad intendere di poter riserbare in sé tutti gl'effetti della natura, s'inganna, perché la memoria nostra non è di tanta capacità : però ogni cosa vedrai dal naturale.

L'homme ne doit pas se fier autant à soi, qui ne voit pas la nature.
Celui qui pretend pouvoir représenter tous les effets de la nature se trompe, parce que notre mémoire n'a pas une telle capacité :  donc toute chose tu verras de la nature.

Precetto al pittore. CAP. XI

Quel pittore che non dubita quando l'opera supera il giudizio dell'operatore, è un operatore che poco acquista, ma quando il giudizio supera l'opera, quest'opera non finisce mai di migliorare, se l'avarizia non l'impedisce.

Le peintre qui ne doute pas quand l'œuvre dépasse son jugement, est peu doué, mais quand le jugement est supérieur à l'œuvre celle-ci ne finit jamais de s'améliorer, si l'avarice ne l'empêche pas.

(La traduction plus succincte sous le titre '54. Le jugement du peintre' de Chez Jean de Bonnot, est en fait moins proche de l'original et donc incertaine: 'C'est un piètre maître que celui dont l'œuvre dépasse le jugement. Mais il s'élève à la perfection de l'art, celui dont le jugement est supérieur à l'œuvre.'
Même Leonardo da Vinci n'aurait jamais prétendu qu'un artiste puisse s'élever à la perfection de l'art. Il peut s'élever au sommet de ses propres capacités en tant qu'artiste, si telle est sa volonté et son objectif, mais la perfection est plutôt une idée utopique, car rien n'est jamais parfait. La beauté comme la vie même, dépend aussi sur ses imperfections pour être belle. L'idée utopique d'une beauté parfaite, est comme celle d'un paradis immortel imaginaire. Elle ne peut qu'être stérile et figée).

Leonardo da Vinci fut un grand anatomiste. D'ailleurs c'est son appréciation de l'articulation du squelette humain et du mécanisme anatomique musculaire humaine, (bien plus développée par rapport à ce qu'il savait à propos des fonctions des organes vitaux) qui l'a aussi aidé à inventer les mécanismes des grues, leviers, poulies et des jeux des roues de vitesses, etc.
Souvent Leonardo affirma la supériorité des illustrations par rapport au texte écrit aux fins de comprendre l'anatomie humaine. D'ailleurs il en fit une longue note à ce propos pour accompagner un dessin du cœur et des poumons. Mais sans considérer les connaissances du 15° et 16° siècles de la fonction de tels organes, combien sommes nous aujourd'hui, à part des spécialistes de haut niveau, qui comprennent comment se réalise ce miracle de l'énergie autonome qui dure et détermine une vie entière, celui du cœur? 












Certains aiment croire que Leonardo eût réussi à fabriquer une machine à voler. Pour réussir un tel accomplissement il aurait été obligé d'y consacrer une trop grande partie de sa vie.
















Le dernier dessin montré ci-dessus d'une prétendue machine à voler, serait peut-être faussement attribué à lui, car aurait-il ainsi dessiné les ailes sachant qu'une telle construction ne serait pas efficace? A son époque il aurait fallu de la toile, du tissu ou du parchemin verni couvrant de façon très serrée un schéma selon ses dessins authentiques qui respectaient le principe du mécanisme anatomique des ailes des oiseaux. On voit cette appréciation assez clairement illustrée par les deux autres dessins certainement de lui. Il comprenait fort bien cet aspect. Mais autant que l'on sache il n'y a aucun dessin de Leonardo da Vinci qui démontre clairement son appréciation complète de comment un oiseau se sert de sa queue en concertation avec ses ailes pour s'envoler, s'orienter, freiner et atterrir, ni donc comment on pourrait appliquer efficacement cette connaissance pour fabriquer une véritable machine à voler.

En tous cas il avait trop d'autres intérêts et de choses à faire, et l'utilité de ses connaissances, de sa science, surtout en ce qui concerne l'invention des armes, des tours mobiles d'attaque, et l'innovation des moyens de défense, etc., était constamment sollicitée par des autorités intéressées.

Ironiquement et paradoxalement ce besoin humain primordial souligne encore la triste vérité qu'à travers l'histoire l'évolution technologique et scientifique ainsi que la survie des civilisations dépendent en très grande partie sur les guerres.
L'histoire de 'la machine à voler' en est d'ailleurs un excellent exemple. Lorsque on constate qu'il a fallu seulement trente ans pour développer l'avion, (de la machine à voler rudimentaire, jusqu'au jet sophistiqué) surtout dans l'espace de temps des deux guerres mondiales, cette vérité est incontestable.


Leonardo da Vinci, le portrait

Text © Mirino. Drawings and notes from the notebooks of Leonardo Da Vinci. Sources and textes include those from Le Traite de la Peinture de Leonardo da Vinci. (Chez Jean de Bonnot), with thanks.                                  March, 2013

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